jeudi 28 avril 2016

Carnet de route #10 : l'atelier 2 vu par Dominique Unternehr

Dominique Unternehr, comédien de la Compagnie La Nuit Venue et intervenant de l'atelier théâtre, nous livre ses impressions sur l'atelier Hic & Nunc 2, composé de sept participants.

Après quelques semaines d'exercices d'improvisation, votre choix s'est porté sur un canevas mêlant du Tchekov et des anecdotes des participants. 
Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le projet s’est porté sur un canevas mélangeant des extraits adaptés des Trois sœurs d’Anton Tchekhov et des anecdotes particulières, de sorte à ce que les participants gardent sans cesse un lien avec eux-mêmes et comprennent, à l’instar du groupe 1, que jouer consiste à mêler de la fiction à de la réalité. Les émotions ressenties par les personnages sont les mêmes que celles ressenties par les acteurs en de certaines circonstances.

Le choix d’Anton Tchekhov était très intuitif au départ : tout acteur qui a un jour joué un texte de cet auteur sait quel plaisir on prend à ces histoires à la fois drôles et touchantes, à ces assemblées humaines coincées dans des existences où la déception le dispute à l’espoir, l’échec à la réussite.

Comment a été accueilli ce choix ?

A l’usage, il apparaît que ce canevas met en avant le sentiment de la nostalgie, sentiment qui, on s’en doute, n’est pas absent du cœur des résidents en EHPAD, si ce n’est que, comme n’importe quel autre sentiment, il peut submerger une personne et, donc, être subi plutôt que vécu avec cette espèce de bonheur triste qu’il procure. La mise à distance que permet le théâtre lui donne, à ce sentiment, toute sa force dramatique. Le jeu conscient lui conserve toutes ses facettes, des plus grotesques aux plus sublimes.

Comment se déroulent les séances ?
A l’instar de la pièce de Tchekhov, nous sommes donc en présence de sept personnes dans un lieu unique (nous travaillons dans une salle d’activité qui a le mérite d’être meublée comme un espace de vie domestique, ce qui évite aux participants l’angoisse du « plateau nu »), un jour de fête, mais aussi le jour anniversaire du deuil d’un parent disparu. On s’occupe, on se réjouit, on gaffe, on s’agace, on vit. On évoque un passé radieux, évidemment fantasmé. On envisage un avenir radicalement différent, sans pour autant se résoudre à opérer des changements de mode de vie. On boit du thé, on bavarde, on se confie.

Les ruptures de ton sont constantes, c’est comme une descente émotionnelle en slalom. Rien ne se passe, ou si peu (en termes d’action), mais les mots virevoltent de part et d’autre, explorant des recoins d’histoire familiale plus ou moins bien digérée.


Comment s'est passée la réunion des deux groupes ?

Lors de la première réunion des groupes 1 et 2, les participantes âgées ont été invitées à prendre place dans cette scénographie qui leur est familière (au lieu de s’asseoir frontalement comme dans un théâtre) et elles avaient l’autorisation (pour ne pas dire qu’elles y étaient vivement encouragées) d’intervenir oralement, de réagir à ce qui se disait, d’entrer en conversation improvisée avec quiconque dirait quelque chose qui les interpellerait ou leur donnerait envie d’en discuter. 

Elles pouvaient aussi se mouvoir, agir dans la limite des actions possibles dans ce lieu : se servir du thé, manger une part de gâteau (nous avions tiré les rois, il y avait de la galette), changer de place, aller s’installer auprès de quiconque leur inspirait de la sympathie ou de l’intérêt.

Elles ne s’en sont pas privées, déstabilisant le groupe 2 d’une façon comique et émouvante, faisant apparaître de façon flagrante la nécessité d’une écoute accrue, celle de marquer une pause dans le déroulement textuel du canevas pour s’engager au présent dans une relation non écrite, voire non verbale.

Plaisir de l’expérimentation, qui fait remonter à la surface des fondamentaux si souvent sclérosés dans une pratique théâtrale, notamment professionnelle. 

Plaisir de la coprésence partagée, dont pas une seconde ne se perd.


Le mot de la fin ?

Loin d’être un atelier occupationnel, consommatoire, c’est un moment de partage durant lequel le théâtre est mis à l’épreuve des personnes, et non pas l’inverse. De sorte que chacun peut se sentir à égalité devant cet art qui, quelles que soient les conditions de son exercice, met l’humain en avant, dans ses invariants qui ne dépendent ni de l’âge, ni de la condition, ni, bien sûr, du « niveau ».

Nous pouvons donc dire, à ce stade, qu’il y a toutes les bonnes raisons pour jouer ensemble et prendre part, même modestement, au grand commentaire du monde que constitue le théâtre.

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