Dominique Unternehr, comédien de la Compagnie La Nuit Venue et intervenant de l'atelier théâtre, nous livre ses impressions sur l'atelier Hic & Nunc 2, composé de sept participants.
Après quelques semaines d'exercices d'improvisation, votre choix s'est porté sur un canevas mêlant du Tchekov et des anecdotes des participants.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le projet
s’est porté sur un canevas mélangeant des extraits adaptés des Trois sœurs d’Anton Tchekhov et des
anecdotes particulières, de sorte à ce que les participants gardent sans cesse
un lien avec eux-mêmes et comprennent, à l’instar du groupe 1, que jouer consiste
à mêler de la fiction à de la réalité. Les émotions ressenties par les
personnages sont les mêmes que celles ressenties par les acteurs en de
certaines circonstances.
Le choix d’Anton Tchekhov était très
intuitif au départ : tout acteur qui a un jour joué un texte de cet auteur sait
quel plaisir on prend à ces histoires à la fois drôles et touchantes, à ces
assemblées humaines coincées dans des existences où la déception le dispute à
l’espoir, l’échec à la réussite.
Comment a été accueilli ce choix ?
A l’usage, il apparaît que ce canevas
met en avant le sentiment de la nostalgie, sentiment qui, on s’en doute, n’est
pas absent du cœur des résidents en EHPAD, si ce n’est que, comme n’importe
quel autre sentiment, il peut submerger une personne et, donc, être subi plutôt
que vécu avec cette espèce de bonheur triste qu’il procure. La mise à distance que permet le
théâtre lui donne, à ce sentiment, toute sa force dramatique. Le jeu conscient
lui conserve toutes ses facettes, des plus grotesques aux plus sublimes.
Comment se déroulent les séances ?
A l’instar de la pièce de Tchekhov,
nous sommes donc en présence de sept personnes dans un lieu unique (nous
travaillons dans une salle d’activité qui a le mérite d’être meublée comme un
espace de vie domestique, ce qui évite aux participants l’angoisse du
« plateau nu »), un jour de fête, mais aussi le jour anniversaire du
deuil d’un parent disparu. On s’occupe, on se réjouit, on gaffe, on s’agace, on
vit. On évoque un passé radieux, évidemment fantasmé. On envisage un avenir
radicalement différent, sans pour autant se résoudre à opérer des changements
de mode de vie. On boit du thé, on bavarde, on se confie.
Les ruptures de ton sont constantes,
c’est comme une descente émotionnelle en slalom. Rien ne se passe, ou si peu
(en termes d’action), mais les mots virevoltent de part et d’autre, explorant
des recoins d’histoire familiale plus ou moins bien digérée.
Comment s'est passée la réunion des deux groupes ?
Lors de la première réunion des
groupes 1 et 2, les participantes âgées ont été invitées à prendre place
dans cette scénographie qui leur est familière (au lieu de s’asseoir frontalement
comme dans un théâtre) et elles avaient l’autorisation (pour ne pas dire
qu’elles y étaient vivement encouragées) d’intervenir oralement, de réagir à ce
qui se disait, d’entrer en conversation improvisée avec quiconque dirait
quelque chose qui les interpellerait ou leur donnerait envie d’en discuter.
Elles pouvaient aussi se mouvoir, agir dans la limite des actions possibles
dans ce lieu : se servir du thé, manger une part de gâteau (nous avions
tiré les rois, il y avait de la galette), changer de place, aller s’installer
auprès de quiconque leur inspirait de la sympathie ou de l’intérêt.
Elles ne s’en sont pas privées,
déstabilisant le groupe 2 d’une façon comique et émouvante, faisant
apparaître de façon flagrante la nécessité d’une écoute accrue, celle de
marquer une pause dans le déroulement textuel du canevas pour s’engager au
présent dans une relation non écrite, voire non verbale.
Plaisir de l’expérimentation, qui
fait remonter à la surface des fondamentaux si souvent sclérosés dans une pratique
théâtrale, notamment professionnelle.
Plaisir de la coprésence partagée,
dont pas une seconde ne se perd.
Le mot de la fin ?
Loin d’être un atelier occupationnel,
consommatoire, c’est un moment de partage durant lequel le théâtre est mis à
l’épreuve des personnes, et non pas l’inverse. De sorte que chacun peut se
sentir à égalité devant cet art qui, quelles que soient les conditions de son
exercice, met l’humain en avant, dans ses invariants qui ne dépendent ni de
l’âge, ni de la condition, ni, bien sûr, du « niveau ».
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